Gérard le voyageur sans histoire extrait
La montée est raide, je souffle fort, mes pas sont courts. L’envie de redescendre me traverse l’esprit. Un vautour fauve croise le ciel. Mes pieds continuent sur la sente dans la pente vertigineuse. Le soleil n’est pas encore arrivé, il sera en haut avant moi. Un sanglier surpris s’en va, l’air vexé de sa propre peur, à travers les hêtres. Un renard saute du chemin et disparaît derrière un rocher. Des choucas volent en bande au gré des courants d’air sur les estives. Je ne sais qui joue avec quoi ? Cela semble si simple, leurs tonneaux et autres acrobaties, est-ce l’air ou eux qui dirige cette escadre ?
Je marche seul, transpirant abondamment, voir allègrement. Il n’y a pas plus de neige à la cime que de cheveux sur le sommet de mon crâne. Enfin j’y suis, la plaine immense se révèle à l’instant où le premier rayon de soleil me réchauffe. Une bouffée de bonheur entre en moi. Plus aucune barrière ne bloque ma vision qui s’en va loin, tout au bout de l’horizon. L’herbe est bien verte, des fleurs commencent à éclore tout doucement, timidement, comme si elles craignaient encore le retour du froid de l’hiver.
C’est beau, l’air est cristallin, le ciel est pur. Deux petits nuages blancs sont dans un coin l’un à côté de l’autre comme s’ils ne voulaient déranger personne. Derrière moi les pics sont encore enneigés et scintillent. Je cherche la Dame Blanche pour m’amuser, et voit la forme d’une princesse qui dort. Sa silhouette drapée d’une grande robe blanche laisse entrevoir sa tête ornée de longs cheveux bruns, ses seins, son ventre, ses pieds. Majestueuse, elle change ses atours en fonctions des saisons et de la lumière.
Je ne l’avais jamais vu alors qu’elle est là depuis des millénaires.
Un souffle d’air me fait tressaillir. Je change mon polo, passe un pull en laine polaire, sors un thermos de café et un sandwich que l’on m’a préparé à l’hôtel pour casser la croûte. Tout en mâchant, mon regard se tourne vers la grande forêt du Bager. J’ai l’impression de ne l’avoir jamais observée. Elle me semble toute neuve. C’est peut être la rosée du matin qui la rend si belle. Sur ma gauche, je vois deux grands arbres tout jaunes. Mes sens reviennent sur ce pain si croustillant dans lequel un bon fromage de brebis doré se trouve.
Mes yeux qui semblent plus rapides que mon esprit repartent vers ces deux points jaunes entrevus un bref instant. Le haut d’une falaise me gêne pour voir tout autour. Je me déplace sur une courte distance, et là, huit cents mètres plus bas, un immense visage apparaît.
Le front est une prairie où paissent des chevaux. Les cheveux sont verts éclatants. Les deux bouquets d’arbres jaunes, des mimosas, sont les yeux. Le nez est blanc. Les joues pétillantes sont presque orangées. La bouche bordeaux sourit. Du blanc laisse deviner les dents. De grands bouleaux dessinent le contour. La nature pourrait-elle dessiner cette peinture de maître elle-même ?
Je sais que c’est le travail de l’homme ou plutôt de Philippe Belengin. Mais l’humain fait partie du règne animal, de la terre, c’est elle qui l’a dirigé pour se parer d’une œuvre d’art à la grandeur de sa nature.
Mon étonnement grandit encore quand je m’aperçois que ce doux visage masculin est tourné vers une petite vallée en triangle qui dans beaucoup de civilisation est le symbole de la féminité. Le masculin regardant le féminin, déjà épris de sa beauté, qu’ily a-t-il de plus beau comme message ?
J’essaye de graver cette vision, sans succès. Cette image ne veut pas être photographiée. La pellicule ne peut pas l’emprisonner. Mes yeux voient le dessin, l’objectif cadre toujours trop loin, perdant les détails, ou trop près, perdant l’ensemble. Je ressens que tout est éphémère, et ne peut le saisir. A chaque seconde qui passe je m’énerve davantage. Seule ma mémoire le reverra. Je suis incapable de le ramener vers les autres. Ils devront le découvrir par eux-mêmes, en suivant ce sentier qui mène au sommet alors que la lumière du petit jour l’éclaire doucement.
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