Gérard le voyageur sans histoire extrait2
Il parle avec nostalgie de l’ancienne époque. Avant la révolution, les ambassadeurs donnaient des réceptions ici. Les grands orchestres de rumba jouaient sur l’estrade. Les femmes aux longs cheveux, dans leurs robes du soir, dansaient. Le grand lustre de cristal de cinq cents bougies illuminait la pièce. Le cuisinier, un aventurier français, faisait tourner les fourneaux à grands coups de gueule, les vingt commis courraient dans tous les sens. Les serveuses aux yeux pétillants s’affairaient.
La señora Gimenez, la «comtesse» comme l’appelaient les gens de l’hôtel passait d’un endroit à l’autre avec les hommes les plus importants de l’île à son bras.
Lui, enfant des rues en guenilles, se dissimulait pour admirer les va-et-vient des uns et des autres. Cet univers de lumière et de paillettes le faisait rêver.
Un jour, la señora l’avait attrapé par le bras et l’avait envoyé prendre un repas à la cuisine, puis une douche. Une serveuse lui avait donné une chemise de coton rouge, un pantalon de lin, une paire de chaussures noires, vernies et trop petites. Depuis, il n’avait plus quitté la maison.
Il avait vu les Limousines partir, chargées de malles, vers l’Aéroport.
Les gens de la maison étaient renvoyés, faute de clients, dans les cris et les larmes. Un matin, le Français avait disparu.
Finalement, les soldats étaient venus. La comtesse les attendait. Elle était vêtue d’une grande robe noire. Elle brillait de mille reflets.
Ils étaient entrés les pieds couverts de boues, l’arme à la main, dans le désordre le plus complet, souillant le grand tapis rouge du hall.
Du haut de l’escalier, elle s’était mise à les apostropher leur demandant si leur mère les avaient éduqués aussi mal ou si c’étaient leurs armes qui les faisaient ressembler à des voyous.
La voyant descendre, ces hommes baissèrent les mitraillettes.
Entre deux rangées de soldats, n’osant pas la regarder, elle sortit la tête haute, le corps droit et le regard fier. Ils la suivirent la tête basse sans un mot.
Victor ne sachant pas où aller, resta et essaya de protéger les biens de l’hôtel en attendant le retour de la señora. Elle fut condamnée pour trahison envers l’état et fusillée. L’hôtel était tombé dans l’oubli. Il fut pillé plusieurs fois. Finalement, Victor l’avait rouvert.
Je m’assois à une table. En levant la tête, j’aperçois un crochet noir au centre d’une fresque. Il sort du nombril d’un ange peint sur la voûte du plafond.
La tête renversée en arrière, je rêve. Une mouche vient se poser sur mon crâne dégarni.
Le lustre pendu au crochet est hissé par deux nègres en burnous. Les cinq cents bougies viennent d’êtres allumées. Au fur à mesure qu’il monte, l’obscurité s’éclipse. L’ange qui protège les lieux apparaît. Les cristaux en s’effleurant tintent doucement. Sous la charge, les muscles tendus des deux hommes plient souplement. Leur rythme est lent mais régulier. Sans à coups, le lustre s’élève se balançant tranquillement.
Un musicien, sur l’estrade, accorde sa guitare, jouant un petit air guilleret.
Un saxophoniste et d’autres cuivres reprennent l’air, chauffant leurs joues.
Un sourire éclaire le visage du guitariste, une petite lumière brille dans ses yeux.
Il se tourne vers le percussionniste et fait un clin d’œil. Son regard se pose sur chacun des musiciens.
1 commentaire:
Bonjour,
Je découvre à l'instant votre livre, grace à Hélène, "j'en" suis captivé et je suis à la partie ou il travaille sur un bateau en temps que mousse pour retourner à sa cabane, qu'il reconstruit. J'adore depuis historiette V la rencontre avec une personne(Belengin)(enfin vous connaissez le livre)qui lui montre comment planter des arbres, Paris, Bayonne et le retour.Vraiment cela est très beau et très doux dans ce monde de brute, Bravo encore Bravo.
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